Dans études précédentes, nous avons soutenu la thèse que la responsabilité des massacres entre musulmans et Arméniens causés par les membres du Dachnak revenait aux Arméniens eux-mêmes. Or, parmi les témoins de cette période se trouvaient les Géorgiens. Filipp Maharadze (1868-1941) l’un des hommes importants de l’Etat géorgien de l’ère soviétique en faisait partie. Les écrits que nous laissa Maharadze – un témoin de cette époque – sont d’une importance majeure, d’autant plus que le Dachnak n’est plus d’actualité aujourd’hui.
Membre du parti communiste depuis 1903, Filipp Maharadze, s’intéressa à la question des Dachnaks dans son oeuvre La dictature du parti menchevik en Géorgie publiée à Moscou en 1921.
Après l’établissement du pouvoir soviétique en Géorgie, Maharadze reçut de nombreux postes important tel celui de ministre au sein du Comité central de l’Etat et commissaires du peuple. Dans son livre, il souligne que le Parti Tachnaksoutyoun formait des milices en Turquie à la fin du XIXe siècle sans partager d’intérêt avec le socialisme. Pour les hommes d’Etat géorgiens, les Dachnaks étaient devenus des « armes aveugles » aux mains des nationalistes russes, ces derniers visant les occupants coloniaux en Turquie, à savoir les Anglais et Français.
Selon Maharadze, le Dachnak apparaissait comme une organisation conspiratrice qui n’avait presque pour seule procédure que la terreur et l’assassinat. A travers leurs actions provocatrices, les Dachnaks auraient transformé les relations entre Arméniens et Turcs en un conflit sanglant terrible.
N’étant pas parvenus à leurs fins et n’ayant plus la possibilité de continuer leurs actions, les Dachnaks, se déplacèrent vers les terres de la Russie tsariste au début XXe siècle, en Caucase du Sud plus précisément. Maharadze souligne le fait que les Dachnaks dirigeaient leur haine essentiellement à l’encontre des musulmans turcs et des Azéris turcs.
Afin d’augmenter leur puissance, les Dachnaks prirent pour alliés à la même époque les clercs et la grande bourgeoisie arménienne. C’est la quasi-totalité de l’Arménie et l’ensemble des Arméniens qui participèrent à leurs actions. A vrai dire, les autres mouvements politiques avaient presque fini par disparaître.
Maharadze explique comment les Dachnaks renforcèrent leur influence sur le peuple arménien, à travers leurs intrigues en coulisses et leurs complots. Les Dachnaks causèrent aussi de grandes pertes à la classe ouvrière arménienne.
Les Dachnaks qui parvinrent au pouvoir sans toutefois pouvoir s’y maintenir, n’hésitèrent pas demander l’aide des alliés impérialistes allemands ainsi qu’à l’officier russe Denikine. D’après l’homme d’Etat géorgien bolchevik, les Dachnaks auraient aussi été en contact avec les révolutionnaires communistes russes et avec ceux des autres pays du globe. L’une des importantes indications serait la participation du Parti Dachnak à la seconde Internationale (Maharadze, 1921 :110).
Maharadze se pencha sur le Parti Tachnaksoutyoun dans un autre livre sorti en 1927 à Tbilissi, intitulé Les notes sur le Mouvement Révolutionnaire dans la Caucase du Sud.
Dans ce dernier, Maharadze décrit le Dachnak comme étant « le diable des Arméniens ». Selon lui, les Dachnaks causèrent la perte du peuple arménien tout en entrainant ce dernier dans leur entreprise. Ce constat est pour Maharadze indéniable. L’homme d’Etat bolchevik indique que le Parti Tachnaksoutyoun n’était pas simplement nationaliste par essence mais aussi extrêmement chauvin dans toutes les actions qu’il mena.
Maharadze souligne le fait que les Daschnaks ne furent jamais réellement opposés au régime Tsariste, mais qu’au contraire qu’ils bénéficièrent de l’aide de l’Empire russe lors des émeutes qu’ils déclenchèrent en Turquie. Toutefois, les relations entre les deux entités ne furent pas sans contradiction. Le gouvernement russe procéda en effet à des suivis des Dachnaks à la suite d’actes terroristes de ces derniers visant quelques représentants du gouvernement russe. En outre, dans le cadre de leurs activités nationalistes, les Dachnaks créèrent des milices armées et forcèrent le peuple arménien à participer financièrement à cette fin. Il est donc logique que le gouvernement russe ne soit pas resté spectateur de ces faits.
A cet égard, Maharadze fournit des archives relatives à une manifestation militaire organisée par les Dachnaks le 20 octobre 1905 à Tbilissi. D’après le rapport du gouvernement, le cortège des Dachnaks était composé d’unités militaires, chacune menée par un commandant. La description faite dans les documents indique un cortège marqué par son organisation militaire et ses rangées de soldats armés.
Maharadze considère que ces troupes armées n’eurent jamais été créées afin de soutenir la révolution communiste ou de défendre la cause des travailleurs arméniens, mais plutôt dans le but de protéger les intérêts nationalistes du peuple arménien. Cependant, cet objectif ne fut jamais atteint (Maharadze, 1927:320).
Maharadze pointe le fait que les Arméniens ne furent jamais propriétaire d’un Etat, mais plutôt d’un « centre religieux » (Théocratie catholique de tous les Arméniens). Cette théocratie (patriarcat) ressembla en pratique au régime tsariste russe. Cette situation déboucha selon lui sur le renforcement de l’influence du clergé au sein du peuple arménien. A travers une influence toujours plus importante de la religion et du clergé, les sentiments nationaux s’entremêlèrent avec le cléricalisme. Le clergé et l’Eglise devinrent depuis, les fondements des aspirations et des mouvements nationaux. Pour l’auteur, les hommes religieux – qui avaient pourtant spolié le peuple Arménien – devinrent les soi-disant porteurs des idéaux nationaux. Maharadze estime que cette situation déboucha sur des résultats inévitablement négatifs, sans issue.
D’un autre côté, les Anglais et les Russes qui cherchaient à affaiblir l’Empire ottoman au XIXe siècle, virent dans les Arméniens en terres ottomanes un bon instrument de manipulation. Ainsi, à la suite de l’indépendance des Bulgares en 1878, les Arméniens commencèrent à comploter contre le gouvernement turc. Ce sont tout d’abord les intellectuels arméniens qui travaillèrent à cette tâche avec le soutien garanti des Anglais et des Russes.
Dès lors, le regard des Arméniens du monde entier se braqua sur les Arméniens de Turquie. Tous les Arméniens se dirent prêts à se sacrifier au nom de cette entreprise, toutes classes sociales confondues, que ce soit physiquement ou financièrement.
Or, les instigateurs de ces organisations ne sont autres que les Dachnaks. Maharadze estime qu’à travers ces milices, les Dachnak entraînèrent le peuple arménien dans une terrible aventure. En effet, c’est par le biais d’émeutes que les Arméniens parvinrent à se soustraire de l’emprise turque, avec l’aide des Anglais et des Russes. Ainsi, quand les paysans arméniens suivirent les instructions des Dachnaks, se soulevèrent et firent couler le sang, ni la Grande Bretagne ni la Russie ne réagit.
Selon Maharadze, si les Dachnaks parvinrent à atteindre leur but (la séparation) de cette façon et ils plantèrent aussi les germes de la haine entre Arméniens et Turcs. (Maharadze, 1927:7)
En conclusion, dès sa création, le Dachnak utilisa les actes terroristes comme instruments politiques, déclencha des massacres de par leur politique nationaliste, et entraina une grande partie du peuple arménien dans ses entreprises. De plus, les membres du Dachnak bénéficièrent ouvertement des gouvernements impérialistes qui planifiaient le déchiquetage de la Turquie. L’une des preuves indéniables se trouve dans la responsabilité des Dachnaks dans les massacres de la Première Guerre mondiale.
Les considérations de Maharadze sont également partagées par les Mencheviks géorgiens. Karibi, de son vrai nom P.P Goleysvili, était l’un des éditeurs et des administrateurs du Parti menchevik georgien. Kariba, fut conseiller d’Etat au ministère de l’agriculture sous le gouvernement de Noé Jordania, puis rejoignit les Bolcheviks par la suite. Par conséquent, il fut l’un des protagonistes de l’activité politique de l’époque.
En 1920, alors qu’il était conseiller d’Etat au ministère de l’agriculture, Karibi répondit aux allégations arméniennes dans son Le Livre Rouge du gouvernement géorgien. Le livre fut imprimé à Tbilissi et est en partie consacré à la question des Arméniens et des Dachnaks. Il révèle que les considérations des Menchevik géorgiens à ce sujet rejoignent celles des Bolcheviks géorgiens mentionnées plus haut.
Nous pouvons résumer les conclusions du Livre Rouge comme suit :
Filipp Maharadze (1927), Oçerki Revolyutsionnogo Dvijeniya v Zakavkazi, Tiflis
Karibi (2007), Gürcü Devleti’nin Kırmızı Kitap’ı, İstanbul
Maharadze (1921), Diktatura Menşevistskoy Parti v Gruzii, Moskova