La guerre Ottomane-Russe, gravée dans l’Histoire turque comme la « Guerre de Quatre-vingt-treize », a été acceptée comme un tournant dans l’émergence du « problème arménien » et son élargissement au niveau international (Küçük, 1986, s. 1). C’est pour cette raison qu’il est important de connaître la place des arméniens durant cette guerre et d’analyser leurs rôles et conséquences pour pouvoir évaluer correctement le problème arménien sous toutes ses formes.
Au début du 19ème siècle, l’Empire Ottoman a été sous l’emprise de problèmes internes mais aussi externes, et a fait face à un dysfonctionnement de gestion du territoire. Ce contexte lui a donné une image d’un empire qui était en train de se diviser ; faisant partie des géniteurs du « système du peuple », les arméniens essayaient de suivre la voie de la communauté chrétienne pour déterminer leur avenir.
Lors de la guerre turco-russe en 1828-1829, une partie des terres où vivaient les arméniens ont été saisies par les russes qui menaient une stratégie d’étalement sur le territoire ottoman, et ont donc été encouragés par cet évènement pour mettre en œuvre leur souhait d’annexer les autres provinces où la présence arménienne dominait. Pendant ce temps, les Arméniens Ottomans qui espéraient être sauvé de la « domination Turque » par la Russie propageaient une propagande prorusse (Lewy, 2005, s. 7). En conclusion, les arméniens sont passés du statut de « Peuple Fidèle » à celui de « collaborateur », où la guerre de Quatre-vingt-treize a été un point déterminant dans ce passage.
La politique Panslavisme appliquée par la Russie Tsariste sur la communauté Slave a été l’une des raisons les plus importantes de la guerre Turco-Russe de 1877-1878. Conclue avec la victoire nette des russes, cette guerre s’est déroulée sur deux fronts, l’un sur le Danube-Balkans, l’autre sur le Caucase de l’Anatolie de l’Est. Ce dernier a été témoin d’évènements très importants liés à la présence depuis des siècles des peuples arméniens. L’armée Ottomane Anatolie comptait près de 80 milles soldats ; s’étalant sur une zone élargie du Caucase, l’armée russe comptait quant à elle plus de 120 milles soldats. Dans ce front qui était d’une importance de 2ème degré, la stratégie des Russes qui attaquaient sur trois axes était de s’emparer de Kars et d’Erzurum ; alors que celle des Ottomans était uniquement de défendre la région. L’armée Ottomane était commandée par Müşir Ahmet Muhtar Pasa, par ailleurs l’armée Russe, passant à une attaque éclair, était commandée par Loris-Melikof.
A la guerre de quatre-vingt-treize, les deux fronts ont voulu profiter des richesses locales pour les utiliser contre leurs ennemis, notamment au front Caucase il y a eu apparition de troupes volontaires irrégulières. Les Ottomans en guerre, appartenant à différentes tribus d’Adjarie, Circassiens, Abkhazes et des Kurdes ; Tandis que les Russes ont profité principalement des Arméniens, Géorgiens, Kurdes, Circassien et Cosaques de Terek (Şirokorad, 2009, s.437-8). L’armée Russe avançait généralement avec les actes de soutien et de collaboration des Slaves du Balkan et des Arméniens de l’Est.
Les Arméniens, à cette guerre, étaient divisés en deux : « les Arméniens Russes » et « les Arméniens Ottomans » ; ils se complétaient mutuellement en se soutenant. Entre cela, des Arméniens Russes vivant en Caucasie, ont directement participé à l’armée Russe pour prendre place et les soutenir. De plus, il a été observé que les Arméniens disposaient d’une importante charge dans la direction de cette armée. A l’armée Caucase Russe qui a pour centre Erivan, à part les milliers d’Arméniens Russe et les centaines d’officiers à chaque échelon, il y avait aussi des commandants au grade du général. Ainsi, au début de la guerre, le commandant qui a commencé à occuper rapidement l’Anatolie Orientale Mikayel Loris-Melikof (1826-1888), était un Arménien Russe de Tbilissi, nommé en vrai Melikian (Lewy, 2005, s. 7).
Le Grand-Duc Michel Nicolaïevitch, frère de Tsar et devenu gouverneur du Caucase après Melikof ; parmis ses subordonnés, la plus part de ses commandants de deuxième degré se composaient d’Arméniens de Tbilissi : l’ensemble était du grade général Beybut Şelkovnikov, İvan Davidoviç Lazarev (Ohannes Lazaryan), Arshak Tergukasov et Avinov sont quelques-uns parmi eux. Entre temps, il y a eu fondation d’une autre union sous le commandement du général Tergukasov nommé « détachement d’Erevan » (Şirokorad, 2009, s. 437-8). La motivation des Arméniens Russe, provoqués et trompés par les Russes, était le rêve de constituer l’Arménie. A ce propos, nous attirons l’attention sur les paroles du Patriarche des Arméniens de l’époque Nerses, dîtes à l’ambassadeur Britannique Henry Layard d’Istanbul : « … Entre les fonctionnaires de hautes importances et les commandants qui ont été employés par la Russie en Géorgie et Arménie (qui se trouve en Caucasie), il y a de nombreux Arméniens. Parmi eux, tout au long de la guerre, il y en avait qui ont fait de leur mieux et ont été en rapport très proche avec leurs frères Arméniens qui se trouvaient en Turquie… » (PRO, FO, 881/3554, nr.4, de Layard à Lord Derby, Istanbul, 18 Mars 1878).
Au sujet de Nerses et des Arméniens, Layard a fait la distinction : « Malgré que Patrick soit un homme religieux ne portant pas les désirs de ce monde, le peuple Arménien était d’accord pour ne plus être soumis à la direction Ottomane, et Patrick n’était pas en position de résister à cette demande des Arméniens » (même document). Cette distinction nous avait donné le message de la violence des mouvements terroristes Arméniens qui allaient s’aggraver à partir de 1890.
Le deuxième pilier important du soutien Arménien à l’armée Russe, concerne les Arméniens Ottomans vivant dans la province d’Anatolie Orientale et surtout ceux qui sont à la frontière. Après les restrictions apportées par le Traité de Paris, la Russie a planifié de se baser sur la population Arménienne pour réaliser ses plans concernant l’Anatolie Orientale et le Bassin Mésopotamien. Ainsi, à la guerre de quatre-vingt-treize, quand l’armée Russe qui avançait en vitesse a occupé certaines provinces frontalières de l’Anatolie Orientale, cette dernière a pris contact avec les Arméniens vivant ici ; cependant, les Arméniens de l’armée Russe ont commencé à provoquer les Arméniens Ottomans (Karal, 1995, s. 129). Pendant ce temps, certains des Arméniens Ottomans se sont inclus à la guerre pour orienter et faire de l’espionnage à l’armée Russe (Lewy, 2005, s. 7). D’autre part, les Russes propagent de terribles nouvelles pour le pays via les Arméniens ; naturellement, ce cas a créer la peur et l’excitation sur le peuple (Mehmed Arif Bey, 2006: 621).
Sur le front de l’Est, le Premier Secrétaire Mühimme de l’armée Mr. Mehmet Arif, quand il expliquait comment la communauté vivait tout au long des frontières et la manière dont les Russes trouvaient un espion dans un pays étranger pour profiter de lui, il attirait l’attention sur « l’effet de change » et sur la structure démographique de la région.
Selon lui, « la commaunauté présente sur le terrain de conflit était composée de Kurdes, de Karapapaks , et d’Arméniens. En tant que tel, l’ennemi (les Russes) n’a eu aucune difficulté à trouver un espion parmi eux. Certains d’entre eux agissaient sur les deux fronts, c’est-à-dire autant pour les Russes que pour les Ottomans… Quant aux Arméniens, il n’y avait pas besoin de distinguer le côté qu’ils servaient… » (Mehmed Arif Bey, 2006, s. 455-456). Comme vous pouvez le constater, les Arméniens Ottomans, comme lors de la guerre de Crimée, avaient contribué considérablement à la propagation de la stratégie russe en Anatolie pendant la guerre de quatre-vingt-treize (McCarthy, 2001, s. 67). Par ailleurs, lorsque l’armée Russe était aux portes d’Istanbul sur le front Balkan, le général Russe et quelques officiers ont été hébergés dans les maisons des Arméniens vivant à Ayestefanos. De plus, ce groupe provoquait les Arméniens d’Istanbul (Karal, 1995, s. 129).
Avec l’effet « d’innautorité » qu’a créé la guerre de quatre-vingt-treize, de graves problèmes d’ordre public ont vu le jour, lancés par les Arméniens dans les provinces de l’Anatolie orientale. Par conséquent, au tout début de la guerre, en raison des incidents et des conflits surgis dans divers endroits, le patriarche Nerses a publié une liste de « conseils » adressés aux Arméniens (BOA, İ.HR, nr.274/16595). Quant aux Arméniens de Zeytun qui étaient en rébellion depuis 1875, ils ont accéléré leurs actes d’extorsion et de pillage, avec Babik comme centre de contrôle, dès le début de la guerre. (BOA, Y.PRK.A, nr.2/24; Ermeni Komitelerinin A‘mâl ve Harekât-ı İhtilâliyyesi, 1983:29-30). Certains tueurs Arméniens qui ont été capturés après ces faits, ont été condamnés selon la gravité de leurs actes, par les tribunaux d’Ankara (BOA, Y.PRK.HR, nr.1/40). Aussi , pendant la guerre, les « traités » arméniens ayant été envoyés aux écoles Arméniennes par le Patriarcat Arménien, ont été capturés et détruits pour motif de « nocivité » (BOA, MF.MKT, nr.50/4; nr.50/93).
Parmi les facteurs qui déterminent le type de mouvement des Arméniens Ottomans sur le front de l’Est, il y a le problème de structure démographique / sociale et de conditions de guerre. Les forces alliées Ottomanes étaient généralement composées de Kurdes et de Circassiens, ce qui reflète la structure tribale. Ces groupes tourmentés, même s’ils ont parfois contribués à d’importants succès pendant la guerre, ont été présents, pour la plupart du temps, afin de nuire devant et derrière le front, aux autorités et aux ordres. Les observations de Mr. Mehmet Arif à ce sujet sont assez remarquables : les Cavaleries Circassiens, dont amenés de Samsun, pour certains d’entre eux, bien que composées de bons combattants avec bravoure et courage, mettaient la pression et persécutaient la communauté villageoise ; cette situation perturbait davantage l’armée et la paix dans ce contexte de guerre. Selon lui, « …certains villages Arméniens, priaient et aidaient la Russie à gagner la guerre pour échapper à la torture de ces cavaleries, … » (Mehmed Arif Bey, s. 358). Au milieu de la guerre, un Arménien du village Benliahmed a été tué par les Cavaleries Circassiens pour ne pas avoir donné l’un de ses moutons comme ordonné ; les Arméniens ont déposé une plainte collective au Commandant. Après que le tueur soit passé au tribunal, il a été exécuté à Kars avec l’ordre du Pasha (Aynı eser, s. 359).
Mir Mehmed, un des seigneurs Kurdes, avait commencé à faire du pillage et du banditisme avec le soutien de l’équipe qu’il s’est créé à Siirt; parallèlement, ils avaient brûlé des villages Arméniens fidèles au gouvernement (Mahmud Celaleddin Paşa, 1983, s. 358-9). A la fin de la guerre, quand les troupes Russes se sont retirées, quelques groupes Kurdes et Circassiens ont agis cette fois avec la haine liée à ces évènements, et ont de nouveaux attaqué les villages frontaliers Arméniens. Finalement, les milliers d’Arméniens qui se trouvaient aux frontières ont émigrés vers le Caucase Russe et vers les anciens territoires Ottomans laissés à la Russie avec le traité d’Ayestefanos (Lewy, 2005, s.7; McCarthy, 2007, s. 58-9). En effet, le conflit entre les Kurdes et les Arméniens partageant la même géographie, était basé sur d’anciennes « histoires ». Cette situation de conflit s’est aggravée après la déclaration de l’édit de réforme des tensions musulmanes / non-musulmanes, et après la « gestion de crise » des années 1870 ; cela s’est renforcé avec les conditions de guerre de quatre-vingt-treize. Il est intéressant de noter la déclaration faite immédiatement après le traité d’Ayestefanos de l’ambassadeur britannique, Henry Layard : « …les excès appliqués par les Kurdes sur les provinces de Van et la région Beyazit des Arméniens, ont augmentés la haine des Arméniens envers l’administration Islamique (Ottomane)… » (PRO, FO, 881/3554, nr.4, de Layard à Lord Derby, İstanbul, 18 Mars 1878).
Avant la conclusion de la guerre de quatre-vingt-treize, le Patriarcat Arménien d’Istanbul a envoyé une lettre d’accusation à chaque ministre des Affaires étrangères des grands Etats ; pendant ce temps, les Arméniens Russes ont fait une proclamation au gouvernement Russe pour être aux côtés des Arméniens Ottomans. En revanche, les Arméniens ont annulé la décision de participer directement à la guerre de quatre-vingt-treize suite à leur rassemblement du 18 Décembre 1877; par ailleurs, à partir de cette date, ils ont commencé une étude intensive sur la Russie (Gürün, 1983, s. 105).
L’étape suivante a été l’attente d’un retour de soutien de diverses formes de la part des Arméniens face aux Russes, et un suivi de la voie des autres communautés Chrétiennes, afin d’entrouvrir la porte de l’indépendance. Comme nous le savons, le Patriarche Arménien Nerses a fait une réclamation au grand-duc Nicolas d’Ayestefanos, avec la demande de « protection » et de « liberté» ; puis aux deux traités signés, qui était sous le contrôle des grands Etats, il a été ajouté des articles concernant la détermination de la « réforme Arménienne ». Aussi, à cause des conflits cités au-dessus, il a été décidé d’accentuer la protection des Arméniens face aux Circassiens et Kurdes (Mahmud Celaleddin Paşa, 1983, s. 578-9, 629, 697). Jusqu’à ce que les réformes sont approuvées satisfaisamment, les troupes Russes vont continuer à rester dans les provinces habitées par les Arméniens. Les articles concernés ont donnés une importance internationale à la complication Arménienne, mais ils ont aussi causés le peuple Arménien à devenir une cible de l’impérialisme.
Şirokorad, A.B. (2009), Rusların Gözünden 240 Yıl Kıran Kırana Osmanlı-Rus Savaşları, İstanbul
Başbakanlık Osmanlı Arşivi (BOA)
Ermeni Komitelerinin A‘mâl ve Harekât-ı İhtilâliyyesi (1983), (haz. H.Erdoğan Cengiz), Ankara
Lewy, Guenter (2005), The Armenian Massacres in Ottoman Turkey: a Disputed Genocide, Utah
Gürün, Kâmuran (1983), Ermeni Dosyası, Ankara
McCarthy, Justin (2001), The Ottoman Peoples and The End of Empire, New York
McCarthy, Justin (2007), “The Demography of the 1877-78 Russo-Turkish War”, The Ottoman-Russian War of 1877-78, (ed. Ömer Turan), s. 51-78, Ankara
Karal, Enver Ziya (1995), Osmanlı Tarihi,cilt VIII, Ankara
Küçük, Cevdet (1986), Osmanlı Diplomasisinde Ermeni Meselesinin Ortaya Çıkışı 1878-1897, İstanbul
Layard’dan Lord Derby’ye, 18 Mart 1878, İstanbul