Le role des missionnaires dans la perte de l’unite religieuse armenienne

Les missionnaires, tout d’abord catholiques puis protestants, ont travaillé sur les chrétiens ottomans, et ont étés la cause de la création de nouvelles communautés. Celle qui a été le plus influencée par les missionnaires, et la communauté arménienne. La vieille communauté arménienne grégorienne a vécu, suite à l’influence des missionnaires, de grands changements, les communautés arméniennes catholique et protestante ont vu le jour, et des idées nationalistes se sont répandues. Toutefois, les premiers résultats de ce changements ne sont pas l’influence du nationalisme sur les Arméniens ni le début de leurs actions séparatistes. Le premier résultat est que la communauté arménienne s’est elle-même divisée et a vécu des conflits internes.

A partir du début du XVIIe siècle, les prêtres catholiques d’Istanbul augmentèrent leurs activités de missionnaire afin d’augmenter la catholicisation des arméniens, et ceci suscita des mécontentements à l’intérieur de la communauté. Du temps de Murat IV, le patriarche arménien d’Istanbul se plaint des missionnaires parce qu’ils entraînaient les Arméniens vers d’autres églises, et le sultan fit fermer les églises dans lesquelles les Arméniens fraîchement convertis se réunissaient (Kılıç, 2001: 728). Entre les années 1773 et 1799, le patriarche arménien Zaharya, eut des propos très fermes contre les catholiques. Le patriarche Zaharya ne fit pas de pression uniquement sur les Arméniens catholiques d’Istanbul, mais également sur ceux de toutes les régions du pays. Ainsi, les Arméniens catholiques de Chypre se virent refuser l’autorisation d’enterrer leurs morts dans le cimetière arménien, et on ordonna à l’administration des églises locales de les enterrer. Zaharya fit appel au gouvernement afin que les prêtres arméniens ne soient pas forcés de les enterrer (Türkan, 2012b: 30).

Au cours du XIXème siècle, la posture du patriarcat concernant les Arméniens catholiques ne changea pas. En 1828, selon la volonté du patriarche, de nombreux Arméniens catholiques furent exilés d’Istanbul. Grâce à l’intervention de la protectrice des catholiques, la France, les catholiques purent finalement rentrer à Istanbul (Türkan, 20122b:36). En 1830, suite aux pressions de la France pour que l’Empire Ottoman, qui protégeait l’église grégorienne arménienne, abandonne sa position dissuasive sur les actions des chrétiens, le gouvernement donna à ces derniers un statut de nation à part. Cependant, cette situation ne divisa pas uniquement les chrétiens et les Arméniens grégoriens mais aussi les Arméniens chrétiens, et autour des diverses églises se créèrent de nombreux groupes. En bref, la communauté arménienne se fragmenta (Türkan, 2012a: 322 ss). Les Arméniens catholiques et grégoriens s’affrontèrent de maintes fois sur des sujets tels que les impôts, les cimetières ou les recensements de population (Türkan, 2012b: 36-37).

Les activités de protestantisation dirigées par les Etats-Unis d’Amérique et l’Angleterre sur les unions arméniennes firent des ravages bien plus grands et efficaces. En peu de temps, le mouvement protestant qui s’organisa très rapidement, réussit à gagner une forte population depuis Istanbul jusqu’à Jérusalem. Suite à l’initiative de l’Angleterre, les Arméniens protestants obtinrent le statut de “peuple” dans l’édit du sultan Abdülmecid Ier daté du 27 novembre 1857. Aux protestants séparés de l’église grégorienne, on nomma un représentant musulman ainsi qu’un moine afin de mener les affaires spirituelles. Suite à la guerre de Crimée et l’installation d’un patriarche à leur tête, le peuple protestant acheva son organisation (Çetin, 2009: 466). Ainsi, la communauté arménienne fut séparée en trois parties distinctes : les grégoriens, les catholiques et les protestants.

La première réponse aux missionnaires protestants vint du patriarche grégorien qui avait peur de voir son influence diminuer. Le patriarcat demanda à avoir les noms des élèves inscrits dans les écoles protestantes ainsi que ceux de leurs parents, et annonça que ces personnes seraient toutes emprisonnées. Les Arméniens convertis au protestantisme furent condamnés à mort (Kılıç, 2000: 166-167). Les protestants vécurent plus de conflits religieux avec le patriarcat que les catholiques. En effet, le point de vue du culte protestant était assez différent de celui de la Bible et des religieux. Les Arméniens protestants avancèrent l’idée que l’église s’abstrait et se met au deuxième plan face au Livre Saint, et critiquèrent la théologie de l’église, les cérémonies religieuses et la compréhension de la religion. De son côté, le patriarcat tenta d’empêcher les Arméniens protestants de changer le culte en les isolant de la vie sociale. On fit des marques sur les portes des maisons des protestants, et il fut interdit de leur parler, de les saluer et de commercer avec eux. On leur empêcha de baptiser leurs enfants, de marier leurs jeunes, et d’habiter dans les mêmes quartiers que les grégoriens (Türkan, 2012b: 43-44).

Au fur et à mesure qu’augmentait le nombre d’Arméniens se convertissant au protestantisme, la pression du patriarcat augmenta et les conflits entre grégoriens et protestants se firent plus violents. En 1845, dans la ville de Trabzon, les protestants furent expulsés de chez eux, et un protestant décédé fut enterré dans un terrain appartenant aux Turcs car on ne donna pas l’autorisation qu’il fut enterré dans le cimetière arménien. Le patriarche Çamurciyan fut excommunié de l’église protestante arménienne (Çetin, 2009: 469-470).

En réponse au comportement des grégoriens, les Arméniens protestants se rapprochèrent de l’Angleterre. Cette dernière, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Istanbul et de ses consulats aux quatre coins du pays, considéra que protéger les protestants et communiquer leurs réclamations à la Sublime Porte faisait partie de ses missions les plus importantes. Ainsi, en 1851, le consulat anglais d’Alep fit savoir que dans le village de Hessale, entre les villes d’Antakya et de Lazkiye, les Arméniens protestants étaient soumis à des arrestations et des mauvais traitements de la part des autres Arméniens. En 1856, un représentant du consulat anglais de Tarsus affirma que certains Arméniens protestants d’Adana et de Tarsus furent emprisonnés par les Arméniens grégoriens sans autre forme de procès. Il précisa qu’il était lui-même intervenu, sans succès, pour les libérer et qu’il s’était fait rappeler à l’ordre par certains employés, y compris le gouverneur de Tarsus (Osmanlı Belgelerinde Ermeni İngiliz İlişkileri[1], I, 2004: 3-7).

Les activités des missionnaires protestants ne furent pas uniquement la cause des hostilités avec les grégoriens, elles furent également la cause du rapprochement de certains avec l’église catholique. La première église catholique de la région d’Adıyaman fut fondée par la conversion de jusqu’à 70 Arméniens en réponse aux activités des missionnaires protestants américains auxquels ils n’arrivaient pas à faire obstacle. A la suite de cela, les villages et bourgs des environs entrèrent en collaboration avec l’église catholique. Depuis 1894, il y a à Adıyaman quatre églises catholiques arméniennes (Dalyan-Yıldız, 2010: 76-77).

Un autre résultat des activités des missionnaires dirigées sur les Arméniens fut la sécularisation. Grâce aux missionnaires, les relations des Arméniens et de l’Ouest furent facilitées, et une nouvelle génération, fréquentant les écoles des missionnaires et étudiant à l’étranger, surgit. Cette génération aboutit à deux écoles opposées : “Karanlik” (Obscurité) et “Aydınlık” (Lumière). Les partisans de l’école “Aydınlık” étaient un groupe laïque soutenu par l’Angleterre. Grâce à ce groupe, le patriarcat arménien se sécularisa en partie, et le clergé perdit sa force. Avec la sécularisation, le nationalisme augmenta aussi son influence (Çetin, 2009: 470-471).

En somme, les premiers effets des actions des missionnaires tant catholiques que protestants furent des conflits au sein de la communauté arménienne. Cette dernière se fractionna et connut de nombreux troubles internes. Les résultats post-missionnaires furent la propagation d’idées nationalistes et séparatistes entre les Arméniens.

Explications

[1] Relations anglo-arméniennes dans les documents ottomans

Bibliographie

Çetin, İsmigül (2009), “İngiliz Misyonerlik Faaliyetlerinin Ermeni Milliyetçiliğine Etkisi ve Gregoryen-Protestan Ermeni Çatışması”, Hoşgörüden Yol Ayrımına Ermeniler, II, sous la direction de Metin Hülagü, Şakir Batmaz et Gülbadi Alan, Kayseri, p. 457-475.

Dalyan, M. Gökhan ve Mehmet Yıldız, (2010), “XIX.yy’da Adıyaman Süryani ve Ermenileri Arasında Katolik Misyonerlik Faaliyetleri”, Adıyaman Üniversitesi Sosyal Bilimler Enstitüsü Dergisi, Numéro 5, p. 74-85.

Kılıç, Davut (2001), “Osmanlı Ermenileri Arasında Katolik Kilisesinin Kuruluş ve Faaliyetleri”, Yeni Türkiye Ermeni Özel Sayısı, Numéro 38, Ankara, p.726-734.

Kılıç, Davut (2000), Osmanlı İdaresinde Ermeniler Arasındaki Dini ve Siyasi Mücadeleler, Ankara.

Kuzgun, Şaban (1983), “Misyonerlik ve Hıristiyan Misyonerliğinin Doğuşu”, Erciyes Üniversitesi İlahiyat Fakültesi Dergisi, Numéro 1, Kayseri, p. 59-82.

Türkan, Ahmet (2012a) “İstanbul’daki Katolik Ermeni Gruplarının Problemleri ve Papalığın Müdahaleleri (19.yy)”, History Studies: International Journal of History, IV/2, p. 317-341.

Türkan, Ahmet, “İstanbul Ermenilerinin Dini, Toplumsal ve Kurumsal Problemleri: Mezarlıklar Sorunu (19.yy)”, İstanbul Üniversitesi Edebiyat Fakültesi Güney-Doğu Avrupa Araştırmaları Dergisi, Numéro 21

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